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Qu’est-ce qui est attendu ? Comment appréhender le
travail à réaliser en vue de cet objectif ?
La dissertation est un exercice difficile dans la mesure où il vous est demandé d'élaborer votre propre "thèse" à partir d'un sujet particulier que vous n'aurez sans doute jamais rencontré auparavant dans ses termes exacts. Mais cela reste néanmoins un exercice, qui s'appuie sur une méthode, des règles, des astuces et une bonne dose de rhétorique. La méthode de dissertation doit être travaillée en permanence et en parallèle de l'acquisition des connaissances, car elle prend sens progressivement au fur et à mesure que l'approfondissement de vos connaissances contribue à mieux faire murir votre réflexion personnelle.
La lecture et les relectures de (bonnes) copies de concours constitue une façon efficace de prendre conscience de ce qui est attendu dans cet exercice. Vous trouverez de telles copies sur la page annales.
L’exercice de dissertation vise à mesurer
votre capacité à élaborer « une réflexion autonome à propos de phénomènes
complexes ». Tout au long des deux années de classe préparatoire
(précisément 21 mois, du mois de juillet de l’année t-2 au mois de mars de
l’année t du concours), votre travail devra être tourné vers cet objectif.
Mener une réflexion autonome consiste à
réfléchir personnellement sur un sujet et à proposer sa propre
argumentation en vue de résoudre le problème soulevé par le sujet. Cela
suppose donc, d’une part, d’être capable de problématiser un sujet : il
s’agit de transformer le sujet en problème(s) c'est-à-dire de soulever toutes
les questions posées par le sujet et de les articuler de manière cohérente
dans une progression permettant de résoudre ce(s) problème(s). A cet égard, il est essentiel de comprendre que le sujet ne doit pas être confondu avec la problématique, même lorsqu'il est formulé sous forme de question : la problématique, c'est à vous de l'élaborer. D’autre part,
il faut être capable d’apporter sa propre solution au(x) problème(s)
que vous aurez explicité(s). Ajoutons que, compte tenu de la complexité des phénomènes étudiés, les questions soulevées ont plus d'importance que les réponses apportées : dans une dissertation d'ESH, il vaut mieux une bonne question sans réponse définitive qu'une bonne réponse à une mauvaise question.
Une mauvaise dissertation (voire une absence de dissertation) commence souvent par une attention insuffisante portée sur les termes du sujet. Un sujet porte sur certains points
du programme et fait référence à certaines notions académiques (croissance économique, commerce international, etc.). Mais, tous les termes du sujet comptent. Et, ceux qui comptent le plus ne sont souvent pas les notions académiques, supposées maîtrisées par tout étudiant s'étant sérieusement préparé. Face à des expressions pour lesquelles il n’existe pas de définition académique bien établie, vous devez donner une définition la plus large possible. Cette définition sera par conséquent relativement vague, ce qu’il ne faut pas voir comme un handicap mais, au contraire, comme une opportunité. Plus votre définition est étroite, plus vous vous fermez des portes, c’est-à-dire que vous vous interdisez d’aborder certaines questions (d’ordre empirique ou d’ordre théorique) qui pourraient améliorer votre dissertation, qualitativement d’abord mais aussi, ce qui est parfois nécessaire, quantitativement. Il faut donc lutter contre cette tentation de l’élève trop scolaire qui va chercher, pour se rassurer, à réduire ce genre d’expression à des notions qu’il connait et qui, par définition, ne peuvent concerner que certains de ses aspects.
Ainsi, le sujet "Performances économiques et justice sociale" fait référence à une notion académique (la justice sociale) et à une notion vague qui ne connaît pas de définition académique ni même d'oppositions établies sur ses définitions (ce qui est souvent le cas au contraire pour les notions académiques). Une erreur serait notamment de transformer ce sujet en "Croissance économique et justice sociale". Si les concepteurs du sujet ont choisi certains termes, certaines formulations plutôt que d'autres, ce n'est pas par hasard. C'est le plus souvent pour obliger le candidat à mener une réflexion autonome, laquelle passe donc d'abord par une analyse des sens que l'on peut donner aux termes n'ayant pas de définition précise reconnue.
Ceci nous amène à dire quelques mots sur le hors-sujet. Il ne constitue pas une fatalité. Il vient toujours d'une lecture erronée des termes du sujet, d'une formulation mal comprise. Lorsque cette lecture erronée porte sur des termes académiques, la cause provient d'une préparation insuffisante (le programme n'a pas été assez travaillé). Lorsque cette lecture erronée ne concerne pas des termes académiques, la cause vient généralement d'un non respect de la règle énoncée précédemment : les termes du sujet, sa formulation, ne sont pas le fruit du hasard mais de choix réalisés par les concepteurs. Si vous faites le choix de transformer le sujet dans d'autres termes que ceux qui sont imposés (souvent parce qu'ils sont plus confortables car correspondant à un "sujet de cours"), vous faites le choix d'être hors-sujet.
Les connaissances théoriques et empiriques
constituent une boite à outils permettant d’alimenter votre réflexion
et d’étayer votre argumentation. Toutes les connaissances que vous
aurez accumulées grâce aux cours, à vos lectures et à vos recherches sur
Internet ne seront fécondes que si elles sont appréhendées dans ce sens. La
dissertation au concours n’est pas un exercice de récitation de cours.
Cela implique que le travail d’approfondissement des connaissances que vous
avez à accomplir doit aller bien au-delà de celui que vous aviez sans doute
l’habitude de fournir au cours de vos études secondaires. Car, si vous vous
contentez simplement d’apprendre certaines choses sans les comprendre et sans
vous en imprégner, vos connaissances ne permettront pas de faire munir cette
réflexion autonome que l’on attend de vous. Vous devez donc à la fois vous
approprier les connaissances pour qu’elles puissent nourrir votre
réflexion et les maîtriser suffisamment pour pouvoir les mobiliser
sans erreur.
Que signifie : "mobiliser" des connaissances ? Cela signifie : transformer ces connaissances en arguments. Ainsi, lister les éventuels effets négatifs de l'ouverture commerciale sur l'exterieur ne suffit pas pour élaborer une argumentation en faveur de la démondialisation. Parmi les utilisations inadequates classiques des connaissances, il y a le catalogue d'auteurs ("name dropping"), de faits, de concepts. Souvent le signe d'un manque de confiance dans sa capacité à produire une réflexion personnelle et/ou d'une volonté de faire de l'esbroufe, la stratégie de l'étalage de connaissances peut s'avérer désastreuse. Il faut être bien conscient que lorsque vous affirmez "Comme l'ont bien montré Keynes, Hicks, Stiglitz ou Krugman, le chômage ne peut être évité sans intervention de l'Etat", vous ne démontrez rien.
- Les 3 étapes du travail
préparatoire (durée : 1h30 environ)
- 1ère étape : Circonscrire le sujet et lui
associer les connaissances attendues
- Circonscrire le sujet
- repérer les thèmes et notions économiques présents dans le sujet.
- déceler dans les termes exacts du sujet les intentions du concepteur du sujet : Quels sont les sujets proches qu'il a voulu éviter ? A-t-il voulu élargir ou au contraire restreindre le champ du sujet ?, etc.
- définir le cadre spatio-temporel du sujet.
- Jeter sur le brouillon toutes
les connaissances théoriques et empiriques auxquelles les termes du sujet et
la question posée vous font penser.
- recenser tous les grands courants
théoriques.
- recenser tous les pays, toutes les
périodes.
- Remarque : ce travail de recensement doit se faire rapidement (et ce sera d'autant plus le cas si l'acquisition des connaissances aura été réalisée sérieusement au cours des deux années de classe préparatoire). Mais attention toutefois à ne pas trop vite en vous précipitant sur vos souvenirs des seuls chapitres qui traitent du thème du sujet ; par exemple, la croissance économique (notamment ses déterminants) est un thème qui revient régulièrement tout au long du programme, pas seulement, donc, dans le chapitre sur la croissance économique.
- 2e étape : Réflexion sur le sujet et problématisation
- ‘oublier’ les connaissances et passer
à la « réflexion autonome » sur le sujet.
- reprendre l'analyse des termes du sujet, sans négliger les termes non économiques. Nous insistons à nouveau sur ce point essentiel. Les termes du sujet peuvent souvent être définis de manière plus ou moins large, être l'objet d'interprétations différentes. Autrement dit, la question de la définition et du sens donné à certains de ces termes peut être un des problèmes soulevés par le sujet, et le "jeu" autour de ces termes constituer un élément de problématisation, car du sens que l'on peut donner à ces termes est susceptible de découler des réponses différentes aux questions soulevées par le sujet.
- identifier toutes les questions et
problèmes soulevés par le sujet, les hiérarchiser en fonction de leur portée et de leur pertinence.
- s’aider de schémas de pensée simples :
oui-non, théories-faits, faits-causes-conséquences ; sachant que ces schémas ne pourront pas faire le plan (du moins sans une reformulation conséquente au regard des problèmes soulevés par le sujet).
- Elaborer une problématique
- Ayant recensé toutes les questions et problèmes soulevés par le sujet, la problématique consiste en une question complexe permettant d'englober les problèmes les plus essentiels, de leur donner une cohérence d'ensemble et de suggérer la possibilité de les résoudre simultanément au travers de cette question complexe.
- Le sujet, même lorsqu'il est formulé sous forme de question, n'est pas la problématique. C'est vous qui devez construire la problèmatique à partir du sujet (il ne faut pas confondre dissertation et question de synthèse).
- Il ne faut pas non plus confondre une problématique et une simple reformulation du sujet. Par exemple, reformuler le sujet "Croissance et développement" en "Quelles sont les relations entre la croissance et le développement ?" ne donne pas une problématique.
- Tester des problématiques. Plusieurs pistes de problématisation peuvent vous apparaître. Certaines se révéleront non pertinentes après réflexion et devront être éliminées. Parmi les problèmatiques pertinentes :
- certaines pourront être hiérarchisées, la problématique principale servant à contruire les grandes parties et les autres étant exploitées à l'intérieur des grandes parties,
- celles restantes devront être éliminées parce qu'elles ne trouvent pas une place cohérente dans la progression de l'argumentation (il faut faire des choix).
- Construire un plan
général (les 2 ou 3 grandes parties).
- Les deux ou trois parties doivent être choisies de façon à ce que chacune d'elle s'inscrive dans une progression guidée par l'objectif de résolution de la problématique.
- Interdit : l’exposé de cours,
l’histoire de la pensée économique, le plan oui-non stérile.
- Interdit :
les parties 'préalables au traitement du sujet' (donc hors-sujet). Ces parties, que l'on trouve dans de trop
nombreuses copies d'élèves trop scolaires, sont souvent des parties de
définitions, d'exposés de théories... Ces parties sont interdites car
toute partie d'une dissertation doit constituer une étape à part entière
dans la résolution de la problématique.
Ex : Sur le
sujet "La concentration nuit-elle à la croissance économique ?", on ne
devra pas trouver de 1e partie réduite à la description de
la concentration et de ses différentes formes : une telle partie serait
hors-sujet. Par contre, si au cours du développement, l'élève est
capable de développer une argumentation, par exemple, sur les effets
différenciés sur la croissance économique des différentes formes de
concentration, nous aurions là un élément de problématique pleinement
dans le sujet. Dans tous les cas, même si montrer que l'on connait tous les aspects d'une notion du sujet est important, la mobilisation des connaissances doit se faire au cours de, et pour, l'argumentation et non se substituer à cette dernière.
- 3e étape : Construire le plan détaillé (2ème
mobilisation des connaissances)
- recenser
toutes les connaissances qui peuvent appuyer l’objectif de chaque partie. Rappelons à nouveau qu'il s'agit bien d'appuyer votre argumentation et non de produire des catalogues. Les auteurs, en particulier, ne sont pas à citer pour eux-mêmes mais dans la mesure où leurs thèses vont dans le sens de votre propos.
- la mobilisation des connaissances peut
éventuellement vous amener à un redécoupage du plan général : le
nécessaire respect de l'équilibre entre les parties peut vous
amener à transformer une partie en deux ou inversement.
- pour chaque objectif, la mobilisation
doit être double : théorique et empirique.
- la hiérarchisation des
arguments : il ne faut pas mettre sur le même plan les idées, les
références empiriques et théoriques centrales et celles qui sont plus
secondaires. Votre capacité à hiérarchiser les arguments en fonction de
leur poids, de leur portée, de leur pertinence dans l’argumentation est à
la fois un élément clé de la qualité de votre argumentation et un
indicateur important de votre niveau de maîtrise de ces connaissances.
- En particulier, quand il s'agit de mobiliser des auteurs, il faut éviter de placer au coeur de votre argumentation des références qui, sans être obsolètes, apparaissent néanmoins quelque peu datées (Rostow, carré magique de Kaldor...) et, encore davantage, éviter des références "à la mode", très médiatisées mais peu (voire pas du tout) reconnues sur le plan académique (journalistes, essayistes...).
-
attention aux incohérences : il y
a peu de chances, par exemple, que l’analyse marxiste et l’analyse
néo-classique puisse être mobilisées pour défendre une même idée. Si c’est
malgré tout le cas, un début de phrase du type ‘Bien que cela puisse
apparaître paradoxal…’ ne sera pas superflu.
ex : l’Etat au service d'intérêts particuliers.
- refuser "la politique de l’autruche" :
les connaissances entrant en contradiction avec votre objectif ne
doivent pas être ‘oubliées’. Vous devez convaincre le lecteur que leur
portée est limitée. Vous devez montrer qu’elles peuvent éventuellement
nuancer votre propos mais qu’elles ne le remettent pas en cause.
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L’introduction
- L’accroche
- S'appuyant sur des faits précis, historiques ou d'actualité, sur une citation, une référence littéraire ou cinématrographique, l'accroche doit déjà permettre, sur un point de détail, de montrer l'intérêt du sujet. Exposer ce qui semble être un paradoxe, des faits ou des propos contradictoires, peut être une technique efficace.
- Travailler la transition de l'accroche vers le sujet. Pour que l'accroche soit féconde et remplisse correctement sa fonction, il faut montrer en quoi ce point de détail qui la constitue débouche déjà sur un problème plus général touchant au sujet. Une accroche potentiellement très bonne peut être gâchée si le lien avec le sujet n'est pas travaillé.
- Amener le sujet
- Révéler les questions que pose le sujet et les problèmes qu'il soulève. Cela permet de montrer l'intérêt du sujet et de commencer à suggérer la problématique choisie.
- Le sujet n’est pas une donnée. Il ne doit pas être supposé connu du lecteur : c'est à vous de l'amener et de le poser. Pour cette raison, on s'interdira d'utiliser le mot "sujet" dans l'introduction, par exemple dans des phrases du type : « Ce sujet implique d’étudier… ».
- On posera le sujet dans ses termes exacts. D'abord, parce que le sujet n'est pas une donnée supposée connue. Ensuite, parce qu'on ne peut pas traiter "le sujet, tout le sujet, rien que le sujet" si celui-ci a déjà été transformé dès l'introduction.
- Faire attention à ne pas commencer l'argumentation, encore moins à apporter des réponses.
- Définir les termes du sujet
- Présenter la problématique et
le plan.
- Puisque la problématique doit permettre de résoudre un ensemble de problèmes soulevés par le sujet, il n'est pas toujours facile, donc opportun, de vouloir, au moment de l'annonce, la résumer par une question simple. Vous risqueriez de réduire l'étendue de cette problématique.
- L'annonce du plan se fait par des phrases qui explicitent clairement l'objectif de chaque partie, et par la mention des numéros de parties entre parenthèses (I), (II), (III). Afin d'assurer l'ancrage des parties dans le sujet, l'annonce du plan doit reprendre tous les termes du sujet. Cette annonce doit également expliciter la cohérence de l'ensemble et la progression de la démonstration ; il faut donc que les parties paraissent s'enchaîner de manière logique et claire. L'exemple suivant est issu d'une copie de concours (sujet ESCP 2019, "Dans quelle mesure la contrainte environnementale peut-elle modifier les conditions de la croissance ?") : "On verra que si la contrainte environnementale représente une menace pour la croissance en en modifiant les conditions (I), elle est aussi paradoxalement porteuse d'opportunités dans la mise en place d'une croissance durable, à condition que des institutions efficaces et de réelles interrogations sur les finalités de la croissance soient mises en place (II)".
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La rédaction du développement
- La structure
et sa clarté.
- Parties (I, II, III), sous-parties (A, B, C) et paragraphes
doivent exister et apparaître physiquement (sauts de deux ou trois lignes entre les parties, sauts d'une ligne entre les sous-parties, retraits à la ligne pour les paragraphes) dans la copie.
- Chaque partie doit faire l'objet d'une mini introduction qui annonce toutes les sous-parties. Voici une illustration issue d'une copie du concours ESCP 2016 : "Les performances économiques de certains pays peuvent en partie être expliquées par la mondialisation en raison de rapports inégaux entre ces derniers (A) et cela a des retombées sociales indéniables (B)"
- Le plan apparent, constitué de titres (soulignés) en tête de chaque partie et de chaque sous-partie ne sera pas adopté.
- Soigner les
enchaînements. Les parties, les sous-parties, les
paragraphes doivent s’enchaîner logiquement au regard de l’objectif
poursuivi : le fil conducteur doit être explicité de manière récurrente. Les transitions entre les (grandes) parties sont essentielles.
Mais, bien que réduites à quelques mots, les transitions entre les
sous-parties et entre les paragraphes sont également indispensables. Il ne
faut pas que le correcteur soit amené à se poser des questions du genre :
« Quel est le rapport entre ce paragraphe et le précédent ? », « En quoi
cette sous-partie constitue-t-elle un élément de réponse à la question
traitée dans la partie en cours ? ». Autrement dit, il ne faut pas que vos
parties apparaissent comme des catalogues d’arguments non hiérarchisés et
non organisés de manière cohérente.
- Une
dissertation est une démonstration : mobilisation
de connaissances appropriées (c'est-à-dire servant précisément et de manière explicitée l'argumentation), idées ‘personnelles’, ‘réflexion autonome’.
- Savoir manier la nuance. La démonstration que vous devez faire est relative à une « réflexion autonome à
propos de phénomènes complexes ». Vous n’aboutirez donc pas une
conclusion ayant la véracité de celle découlant d’une démonstration
mathématique. Il faut donc argumenter afin de convaincre le lecteur de la
pertinence de vos idées. Ceci est valable aussi bien pour chaque détail de
l’argumentation que pour la réponse finale que vous apportez au problème posé.
Par conséquent, vous éviterez toute généralisation abusive, laquelle ne peut être que carricature : toute affirmation relative à des phénomènes économiques ou sociaux concrets ne peut pas être vraie dans l'absolu mais seulement vraisemblable, plausible, donc défendable, acceptable ; et sa pertinence est le plus souvent relative à des circontances, un contexte et le respect de conditions particuliers.
Par exemple on ne devra pas trouver dans une dissertation de phrases du type
« Tout progrès technique nécessite l’intervention de l’Etat ». En revanche,
dire que « compte tenu de l’incertitude (radicale) et des externalités qui
caractérisent l’activité de R&D, il est assez rare qu’une intervention de
l’Etat ne soit pas nécessaire dans ce domaine » paraît acceptable.
Extrait du rapport de jury HEC 2009 : "les correcteurs regrettent le manque de nuance dans les affirmations des
candidats « l’attentisme dévastateur de Hoover » est trop souvent opposé « au succès total de la
relance keynésienne de Roosevelt ». Le propos des candidats est trop souvent caricatural."
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Sans cesse, justifier son propos.
Votre fil conducteur : le sujet et la problématique. La rédaction doit sans
cesse revenir au sujet. L’objectif de la dissertation étant de faire une
démonstration permettant de traiter le sujet, chaque partie, chaque
argument, chaque référence théorique ou empirique doivent être explicitement
rattachés au sujet. Pas d’allusions, pas de sous-entendus.
Ainsi, nous devrons retrouver des phrases du type :
- « le fait X semble avoir été un phénomène illustrant l’idée Y. »
- « Au niveau théorique, la théorie A montre que sous certaines conditions,
l’idée Y est vérifiée. »
- Se refuser
tout propos allusif. La bonne attitude consiste à
s’adresser à des ‘ignorants intelligents’, c'est-à-dire des lecteurs qui ne
connaissent rien du sujet ni de la théorie économique ni des faits mais qui
sont capables de comprendre votre raisonnement s’il est suffisamment
explicité et clair. Le niveau de détail avec lequel on présente un argument
dépend certes de l’importance relative de cet argument dans la
démonstration. Cependant, la règle générale qui prévaut est : tout doit être
expliqué et justifié au regard du sujet.
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Les expressions à éviter
"En réalité". Expression qui suit généralement un argument théorique et l'on peut prétend, par cette expression, être absolument faux empiriquement (voir ci-dessous la question des "théories fausses").
"Il est évident que". Expression qui implique de se passer de toute justification.
"Il est intéressant de présenter…". Après une telle expression, il est rare qu'il soit dit pourquoi ce qui la suit est effectivement intéressant. Encore une absence de justification.
"Nous avons vu la théorie X. Voyons maintenant la théorie Y ». Nous sommes dans un catalogue, généralement caractérisé par une absence de justification de chaque item du catalogue.
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Se refuser les conclusions hâtives. Une analyse économique rigoureuse suppose de mettre au jour toutes les étapes d'une démonstration. On se méfiera donc des expressions du genre "Il est clair que" ou "Il est évident que". Par exemple, affirmer qu'une crise financière "nuit évidemment à la croissance économique" n'est pas une démonstration. Il faut détailler les mécanismes économiques sous-jacents ; ce qui, par ailleurs, mène toujours à révèler les limites de l'affirmation avancée donc, au mieux, à un enrichissement de l'argumentation ou, au pire, à sa remise en cause.
En somme, les correcteurs de copies sont d'accord avec Léon Walras : "c'est d'affirmations gratuites surtout que nous sommes las, et ce serait surtout de démonstrations rigoureuses que nous aurions besoin." (in "L'Etat et les chemins de fer", 1875)
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Savoir manier la multiplicité des facteurs.
Lorsque le sujet pose la question d’une possible causalité entre A et B (« A
dépend-il de B ? », « A est-il dû à B ? », « A peut-il être expliqué par
B ? », « B détermine-t-il A ? »…), la présentation des causes alternatives
de A (C détermine A) ne doit pas être faite sans référence à B : il faut
montrer dans quelle mesure, lorsque C détermine A, B ne peut plus
déterminer, expliquer A.
- ex : l’insuffisance de la demande globale explique le chômage. Pourquoi
dans ce cas la loi de l’offre et de la demande est-elle mise en échec ?
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Dire qu’une
théorie est fausse ne peut être un argument. Les
théories fausses qui pourraient exister ne sont pas enseignées ! Les
théories reposent sur des hypothèses, aboutissent à des conclusions.
Certains faits peuvent aller à l’encontre de ces hypothèses ou de ces
conclusions. Mais, cela ne veut pas dire que la théorie est fausse, ni ne
peut vous autoriser à considérer que la théorie n’est, de manière générale,
pas pertinente empiriquement. Les faits peuvent limiter la portée empirique
d’une théorie mais apparaissent toujours dans un contexte qui n’est pas, de
manière absolue, celui de la théorie.
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La rigueur de
la langue (problèmes d'expression, problèmes de style, fautes de
français...). Tous les élèves ne sont pas, là non plus, à égalité quant à
leur capacité à utiliser un style, une expression écrite conformes à ce qui
est attendu dans une dissertation d'ESH. Et, votre enseignant aura peu
l'occasion de vous aider à progresser dans ce domaine. Néanmoins, les
progrès dans ce domaine sont possibles.
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Il vous faut
vous imprégner du langage adéquat en lisant les manuels et ouvrages
d'économie et d'histoire. C'est une raison supplémentaire d'utiliser ces
sources et pas seulement des notes de cours. Vous devez également lire les
dissertations publiées, ainsi que celles de vos
camarades ayant la réputation de bien écrire.
- Il faut
prendre conscience du fait que le style adopté dans la presse (y compris
dans la presse économique) n'est généralement pas celui qui est accepté
dans une dissertation d'ESH.
- Il faut s'interdire les termes et expressions non conformes à un style supportant une analyse rigoureuse : booster, ridicule ("une croissance ridiculeusement faible"), mauvaise posture ("La France est en mauvaise posture"), explosion ("un chômage qui explose"), florissant, désastreux... Chaque fois que vous êtes tenté(e) d'utiliser de tels termes, pensez aux termes économiques adéquats que vous pouvez (et devez) leur substituer.
- L'utilisation de graphiques et d'équations : elle est valorisée à condition 1) de spécifier les axes (graphiques) 2) d'expliciter la signification des variables 3) que ces graphiques et équations appuient réellement l'argumentation, donc qu'ils fassent l'objet de renvois dans le corps du texte.
- En résumé, l'exercice, littéraire, de dissertation doit éviter les défauts qui, selon Maurice Allais, sont communs "à un très grand nombre de théories littéraires" : "l'usage continu de concepts non opérationnels, de mots vagues et indéfinis, dont le sens se modifie constamment dans les raisonnements", "l'absence de rigueur dans l'analyse", "l'usage abondant d'expressions plus ou moins métaphysiques qui ne signifiant rien de précis peuvent également signifier tout ce que l'on veut, et mettent à l'abri des objections", "l'utilisation d'expressions chargées d'un contenu émotionnel qui [...] ne peuvent se prêter à des raisonnements rigoureux." (Allais (1989), "La philosophie de ma vie", Revue d'Économie Politique)
- La conclusion
- Elle apporte une réponse définitive à la question posée par le sujet. Les termes du sujet doivent donc être repris et la totalité de la progression retenue dans le développement et permettant une accumulation structurée d'acquis dans la démonstration doit apparaître.
- Une erreur fréquente (souvent signe d'une mauvaise problématique et/ou d'un mauvais plan) est de faire de la conclusion un prolongement de la dernière partie du développement.
- Les jurys dénoncent souvent des conclusions "très pauvres, très courtes." Il faut donc veiller à conserver suffisamment de temps pour ne pas être obligé(e) de "bâcler" la conclusion.
- Quand doit-on rédiger sa conclusion ? Deux stratégies s'opposent à ce sujet :
1) Avant de rédiger le développement. Deux arguments sont en faveur de cette stratégie. Premièrement, rédiger la conclusion vous oblige à formuler une réponse définitive donc à vérifier de la bonne articulation entre les parties et que le plan permet effectivement de progresser vers cette réponse. Si ce n'est pas le cas, il est peut-être encore temps de revoir l'organisation des parties ou d'ajuster (à la marge) la formulation des idées défendues dans chaque partie. Deuxièmement, rédiger la conclusion avant le développement évite de "bâcler" cette rédaction si l'on n'est pas sûr de pouvoir se tenir à une gestion rigoureuse du temps.
2) Après avoir rédigé le développement. L'argument en faveur de cette stratégie est que la réponse définitive que l'on souhaite apporter est susceptible de s'affiner, de se préciser au cours de la rédaction du développement.
- Quid de l'ouverture ? Cette dernière partie de la conclusion a pour objectif de replacer le sujet et la conclusion apportée dans un cadre plus général, au regard par exemple de l'histoire économique, de l'espace ou de l'analyse économique. Elle n'est pas obligatoire.
- Une erreur fréquente de ceux qui s'obligent à cet exercice est de ne pas ouvrir mais de rester dans le sujet, donc d'aborder un point qui aurait pu, voire aurait dû, être traité dans le développement.
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